L’escalade du différend commercial a accru l’incertitude politique au Canada, entraînant une baisse des perspectives de croissance. On redoute également des perturbations au sein de la chaîne d’approvisionnement, un ralentissement des investissements des entreprises et des dépenses de consommation, ainsi qu’une hausse du chômage. Le tableau ci-dessous résume les rajustements de nos perspectives compte tenu des nouveaux droits de douane.
Retombées économiques en cas d’imposition de droits de douane américains de 10 % sur l’ensemble des produits canadiens et de mesures de représailles de la part du Canada :
2025 |
Prév. actuelle |
Nouvelle prév. |
Variation |
Part de l’incertitude |
Part des droits de douane eux-mêmes |
PIB |
1,80 % |
1,30 % |
-0,50 % |
-0,25 % |
-0,25 % |
Inflation (de base) |
2,20 % |
2,40 % |
0,20 % |
-0,20 % |
0,40 % |
Taux de chômage |
6,70 % |
7,00 % |
0,30 % |
0,10 % |
0,20 % |
Taux directeur (à la fin de 2025) |
2,50 % |
2,25 % |
-0,25 % |
s.o. |
s.o. |
Source: Recherche de Vanguard
La confiance des entreprises canadiennes, mesurée par l’indice des options sur contrats à terme, est tombée en deçà du niveau neutre. Autrement dit, les entreprises prévoient, en moyenne, que les volumes de production diminueront bientôt. La confiance des consommateurs a quant à elle atteint son plus bas niveau de l’histoire, étant donné que l’incertitude économique plombe la croissance du marché de l’emploi. En outre, le nombre d’emplois à temps plein a nettement baissé, tandis que les attentes inflationnistes à court terme ont augmenté.
Cette morosité fait suite à la vigueur de l’économie canadienne au quatrième trimestre de 2024 : l’inflation globale se situait près de la cible; les sept baisses de taux consécutives décrétées par la Banque du Canada (BdC) avaient stimulé l’activité et le PIB s’était accru selon un taux annualisé de 2,6 % largement supérieur aux attentes.
Compte tenu de l’instabilité et des perspectives incertaines, la BdC elle-même a eu de la difficulté à établir un scénario de base pour ses prévisions en avril 2025, l’éventail des résultats possibles étant trop large.
Notre scénario de base prévoit l’imposition de droits de douane américains de 10 % en moyenne sur les produits canadiens et de droits de même ampleur de la part du Canada. Ce taux est semblable à celui de 8 % actuellement en vigueur pour les produits conformes à l’ACEUM et au règlement sur la justification de l’origine.
Nous prévoyons que l’inflation finira l’année 2025 à 2,4 %, ce qui est légèrement supérieur à notre prévision précédente de 2,2 %. Ce changement reflète l’incertitude accrue et une possible hausse des droits de douane entre le Canada et les États-Unis. Nous avons également abaissé à 1,3 % nos prévisions de croissance du PIB du Canada pour 2025, étant donné que les droits de douane et l’incertitude mondiale pèsent sur les attentes de croissance. Nous prévoyons que le taux de chômage augmentera à 7,0 % d’ici la fin de l’année. Un ralentissement de la croissance devrait inciter la BdC à procéder à de nouvelles baisses des taux, pour les porter à 2,25 % d’ici la fin de l’année, même si contrairement à la politique budgétaire, la politique monétaire n’a pas pour objectif d’aider les travailleurs, les travailleuses et les entreprises les plus durement touchés, comme l’a rappelé le gouverneur.
Politique monétaire
Le 16 avril, la Banque du Canada (BdC) a décidé de maintenir son taux directeur à 2,75 %, après sept réductions de taux consécutives. Même si l’incertitude a déjà commencé à freiner l’emploi et les investissements des entreprises au Canada, la banque centrale a suspendu les baisses de taux au vu de la hausse de 2,9 % sur 12 mois de l’IPC-méd, l’une des mesures de l’inflation privilégiées par la BdC, observée en mars et de l’incertitude entourant les perspectives économiques attribuable aux droits de douane américains.
La BdC a indiqué qu’elle ferait preuve de prudence tant qu’on ne connaîtrait pas les biens qui seront assujettis aux droits, le taux qui sera fixé, ainsi que l’objet des négociations et le moment où celles-ci auront lieu. Le gouverneur de la banque centrale a également mentionné que son objectif restait la maîtrise de l’inflation, faisant probablement référence au risque que pose la hausse des prix des services hors logement. Les attentes inflationnistes à moyen et à long terme demeurent arrimées, bien qu’elles aient augmenté de plus de 1 % pour l’année à venir. La récente appréciation du dollar canadien, qui a pour effet de réduire les prix à l’importation, a sans doute aussi joué un rôle dans la décision de la BdC de laisser les taux inchangés en avril.
D’après nous, la BdC devrait abaisser le taux à 2,25 % d’ici la fin de l’année, ce qui le porterait vers la limite inférieure de la fourchette du taux neutre. En cas de ralentissement de la croissance, la banque centrale devrait à nouveau réduire ses taux, bien que cela ait pour effet de stimuler l’inflation. Ses dirigeants ont été clairs : la politique monétaire est un instrument général qui permet de relancer ou de freiner la demande dans l’ensemble de l’économie. Pour venir en aide aux travailleurs et aux entreprises les plus durement touchés, il faut passer par les programmes budgétaires, qui sont beaucoup plus ciblés. Il y a donc peu de chances que la BdC fasse passer son taux directeur sous la barre des 2 %.
L’autre raison pour laquelle nous prévoyons de nouvelles baisses de taux est l’écart de production. Comme le montre la figure 1, la croissance devrait demeurer inférieure à la tendance et les droits de douane éroderont le PIB potentiel du Canada. En effet, les exportateurs canadiens feront face à une baisse de la demande des consommateurs et des entreprises aux États-Unis, un marché qui représente 75 % des exportations canadiennes. À mesure que la croissance potentielle du Canada diminuera, le taux neutre de la banque centrale diminuera également. Par conséquent, un taux directeur de 2,25 % sera moins restrictif que durant la période qui a précédé l’entrée en vigueur des droits de douane.
Figure 1 : La croissance devrait rester inférieure à la tendance

Source: Recherche de Vanguard
Inflation
Nous prévoyons que l’inflation de base s’établira à 2,4 % à la fin de 2025, soit au-dessus du milieu de la fourchette cible de 1 % à 3 % fixée par la BdC. L’inflation globale était de 2,3 % en mars, ce qui représente une baisse de 30 pb par rapport à février. Ce recul s’explique principalement par le déclin des prix de l’essence et des voyages organisés. Toutefois, les mesures de l’inflation que privilégie la BdC, à savoir l’IPC-méd et l’IPC-tronq, sont demeurées élevées, les taux annuels s’établissant respectivement à 2,8 % et à 2,9 %.
Par rapport à nos prévisions précédentes, nous anticipons une hausse de l’inflation de 40 pb, en partie à cause des droits de représailles que le Canada impose sur 60 milliards de dollars de biens importés des États-Unis. Toutefois, l’incertitude élevée entourant la politique a fait baisser nos prévisions d’inflation de 20 pb. Récemment, les ménages canadiens ont accru leur taux d’épargne et réduit leurs dépenses discrétionnaires, tandis que les entreprises mettent de plus en plus l’accent sur les liquidités et la santé de leur bilan. Le raffermissement récent du dollar canadien a resserré les conditions financières et en partie neutralisé l’incidence de la hausse des prix des biens américains importés au Canada. Les répercussions sur l’inflation seront un facteur déterminant. Les résultats d’un sondage montrent que la plupart des employeurs ont l’intention de répercuter la totalité ou la quasi-totalité de la hausse des coûts liée à l’inflation. De plus, les entreprises verront leurs coûts augmenter en cherchant à s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs.
À l’avenir, des pressions baissières devraient s’exercer sur l’inflation globale, puisque la taxe sur le carbone a été éliminée le 1er avril. Cette annulation devrait temporairement neutraliser une partie de l’incidence de la hausse des droits de douane. Le ralentissement du marché de l’emploi, la faiblesse du secteur immobilier et le déclin de la demande de voyages contribuent également à freiner l’inflation. L’inflation des services, une mesure qui retient davantage l’attention de la BdC, a reculé en mars, en partie grâce au logement.
La figure 2 présente les composantes de l’inflation globale au Canada et leur contribution pondérée. La part des prix du logement dans l’IPC a fléchi depuis septembre 2024 et l’inflation des aliments a légèrement abaissé l’IPC lorsque l’exonération de la TPS/TVH a commencé le 14 décembre 2024.
Figure 2 : Part de l’inflation du logement et de l’alimentation dans l’IPC du Canada

Source: Bloomberg
Croissance du PIB
Nous prévoyons une croissance du PIB de 1,3 % pour 2025, compte tenu de nos hypothèses relatives aux droits de douane précédemment mentionnées. Nous croyons que l’incertitude qui pèse sur les marchés de l’emploi et sur les investissements des entreprises au Canada se soldera par un déficit de croissance de 0,25 % sur l’ensemble de l’année. En outre, les droits de douane et les mesures de représailles combinés au ralentissement de la croissance aux États-Unis amputeront la croissance de 0,25 % de plus. La baisse des exportations canadiennes se traduira par une détérioration des termes de l’échange et par une diminution du PIB potentiel, en raison de l’excédent de l’offre qui en résultera à court terme.
On ne sait pas ce qu’il adviendra des droits de douane une fois que la période de suspension de 90 jours sera terminée. Le secteur canadien de l’automobile a bénéficié d’une pause de 30 jours, à l’issue de laquelle les droits ont été maintenus. Cette incertitude est si importante pour les entreprises, qu’elle nuit à la croissance. L’indice de l’incertitude concernant les politiques économiques au Canada a bondi à 1 542, soit neuf fois sa moyenne historique.
L’activité économique a été vigoureuse au Canada au cours des deux derniers trimestres, la croissance sur un an s’établissant à 2 %, grâce en grande partie aux sept baisses de taux d’intérêt consécutives qui ont revigoré la confiance des consommateurs et les investissements.
À l’heure actuelle, les droits de douane américains visent des produits canadiens précis. Ainsi, l’acier, l’aluminium et les produits non conformes à l’ACEUM sont assujettis à un droit de 25 %. Une taxe de 25 % est aussi imposée sur la partie des véhicules qui n’est pas fabriquée aux États-Unis. Enfin, des droits de 10 % s’appliquent à l’énergie et à la potasse, tandis que les produits pharmaceutiques, le cuivre et les semi-conducteurs devraient bientôt être visés. Il est aussi probablement que les États-Unis fassent plus que doubler les droits de douane sur le bois d’œuvre, pour les porter à près de 35 %.
Toutes ces taxes plomberont la demande intérieure finale et, par conséquent, les investissements des entreprises, les investissements résidentiels et les dépenses de consommation. L’indice de confiance des consommateurs a chuté à 44,2 % en mars, le niveau le plus bas jamais enregistré. La figure 3 montre que l’économie canadienne perd de sa vigueur, même si les indicateurs avancés laissent toujours entrevoir une croissance tendancielle. Ils ont gagné 7,5 % au premier trimestre de 2025, une hausse qui résulte en partie de l’avancement de l’activité en prévision des droits de douane.
Figure 3 : L’économie canadienne perd de sa vigueur

Source: Recherche de Vanguard
Marchés de l’emploi
En raison de l’incertitude concernant les droits de douane et leur mise en œuvre, de nombreuses entreprises ont suspendu leurs embauches et augmenté les licenciements. Le taux de chômage a augmenté à 6,7 % en mars, malgré le ralentissement de la croissance démographique. Plus de 30 000 emplois ont été supprimés au pays, principalement dans le secteur privé et les activités sensibles aux cycles, les emplois à temps étant les plus touchés. Les secteurs frappés de plein fouet par les droits de douane, comme la construction automobile et le commerce de gros, pourraient contribuer à une flambée du chômage. Le secteur de l’automobile emploie directement 125 000 personnes et 90 % des voitures fabriquées au Canada sont exportées aux États-Unis. Les secteurs des produits alimentaires et de la fabrication de produits chimiques sont également fortement pénalisés par les droits de douane.
Selon des données subjectives, les Canadiens prennent plus de temps à trouver un emploi, s’inquiètent pour la sécurité de leur emploi et ont globalement l’intention de réduire leurs dépenses, et ce, principalement à cause de l’incertitude. Autre signe de ralentissement du marché de l’emploi, la croissance des salaires a décéléré de 4,0 % à 3,5 % en mars. On craint que certains exportateurs fassent faillite, d’autant plus que le dollar canadien se raffermit, et que l’écart de production grandisse sous l’effet de l’offre excédentaire, deux facteurs qui feront grimper le chômage. Nous prévoyons un taux de chômage de 7,0 % à la fin de l’année.
La figure 4 montre que le taux d’emploi, c’est-à-dire la part de la population en âge de travailler qui occupe actuellement un emploi, a diminué, alors que le taux de chômage des jeunes demeure élevé.
Figure 4: Statistiques sur l’emploi au Canada

Source: Recherche de Vanguard